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France Burghelle Rey pour Terres de femmes

La beauté peut sauver l’auteur du désespoir et, par là même, le lecteur, comblé par le dernier recueil de Marie-Françoise Vieuille. La Barque criblée. Ainsi, dès l’allusion, dans la présentation, aux lettres d’amour qui arrivaient par mer jusqu’aux châteaux. 


La barque cependant « noire » est celle d’abord de la mort et le nom de Charon s’impose avec la question immédiate de l’absence conjointe à celle de la présence au cœur de « cette eau de fine soie » et sous un ciel de plomb. Au cœur donc du réel qui sauve sans doute de la folie.


Un tableau de facture symboliste qui rappelle les magnifiques toiles d’Osbert décrit la femme dans sa marche, « une longue écharpe blanche déployée par le vent », et laisse planer le mystère en magnifiant « l’attente » annoncée : 
« L’odeur des immortelles des sables sous son corps magnifique.


La dune et la mer en elle, par elle, accordées.
L’écume de sa joie sur ma bouche et mes mains.
Et son sourire miraculeux pour moi seule. » 


La poète va-t-elle nous éclairer sur le passé, le présent ou l’avenir ? Ces premières pages de l’opus sont bel et bien chargées d’un vaste potentiel et l’émotion saisit déjà celui qui les lit. Cette émotion qui est celle-là même de la narratrice qui prend discrètement sa lyre pour chanter :


« L’estran
L’estrange
Laisse de mer
Laisse-moi sans me quitter, estran ourlé […] »

L’étang, sans les pins, pourrait disparaître car il s’agit bien de « la métamorphose sans repos du vivant » comme celle des saisons. Tout poète qui en est conscient se fait « le philosophe du concret », selon l’expression de Hugo dans Choses vues.

Arrive en effet l’été — il y a toujours 


« d’autres juins.
Ceux des roses fées et des chants d’oiseaux » 

 

— l’été qui est le prétexte à plus de poésie encore, une poésie si délicate qu’on craint de la commenter et qu’il faut juste citer :

« Les jeux d’enfants revenus frôlent l’effroi.
Mais c’est à peine. »

 

Puis « Plus de visage » et c’est le chant — voix et sons — qui préserve du deuil et de la mort du regard. Reste aussi « Un souffle laissé près de l’eau vive ».


Des textes brefs alternent en prose poétique avec d’autres plus longs mimant à la fois le sursaut et le désarroi de celle qui sait le salut par les mots et par la musique. Il faut alors conjurer le mal en écoutant jusqu’au « rebondissement de la joie », « le second adagio du Quintette en sol mineur de Mozart »

 

Cette rédemption par la musique et déjà par l’image de la barque, la poète l’a anticipée dans Ai nostri désir, livre où elle écrit :

 

« Elle s’attacha aux accords obstinément jusqu’à ce que la pesanteur disparaisse et la jouissance de glisser sur l’eau en miroir […] se fondit dans une jouissance encore plus grande. »

 

Dans la douleur s’entrevoient des solutions, mais c’est alors l’automne ; l’automne, dans le cœur peut-être seulement, lui qui, comme la barque, est criblé. Si la nature sert de terreau aux images, l’écriture des motifs s’exprime alors avec extrême finesse : les feuilles tombent « dans un bruit de porcelaine » et il faut « [s]’en remettre au glissement des nuages ». Et l’accompagnement, cette fois, est celui des Oiseaux tristes de Ravel et des lieder de Schubert, convoqués dans les textes « Quiétude » et « Le repos ». 


La dérive, supportée grâce aux multiples sensations adjuvantes, est aussi celle du temps symbolisé par l’eau qui s’écoule.

 

« Tiédeur hors du temps. L’abandon est berceau. 
La terre chantonne.
La lumière l’inonde.
Elle est douce comme ce qui pourrait rester sans nom. »

Au sein de ce décor qui pourrait être celui d’une pièce, des personnages nombreux. Annoncés par les titres « Complicité » ou « Personne, persona, personnage », ces « acteurs » ont des voix, des masques. Des cris au loin et des mendiants. Des femmes aussi, la cavalière et la Maréchale, attendent, au bout de leur marche, le phare de paix et de lumière.

 

Orchestré comme un opéra, le spectacle est complet et accompagné jusqu’à la toute fin du recueil de compositions musicales qui participent de sa structure :

 

« Cela construit et pourtant glisse comme une barque allégée […][qui] peut aller où elle veut. »

 

 (novembre 2020)
D.R. Texte France Burghelle Rey 
pour Terres de femmes