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Jean Palomba pour Terre à ciel

 

La couverture est illustrée d’une aquarelle d’Elea Damette. Cela s’intitule « Peinture d’Eléa Damette ».
En avril 2020, avec Edith Azam, elles sont à la tête à l’envers. C’est leur hâvre commun aux yeux du lecteur qui va cependant se rendre compte qu’aucun lieu commun ne lui sera ici donné en pâture. C’est peint à l’eau et prend toute la couv. On a une sensation de mouillé dans le regard. Des couleurs pas si légères que ça vous alarment dès l’abord.
Les mots « Bestiole-moi Pupille », « Edith Azam » et « la tête à l’envers » sont inscrits à même le dessin rectangulaire. Eléa Damette apparaît donc par le pouvoir de sa seule polychromie, sans être nommée.
Il y a une frontière sur ce motif de couverture. Une ligne tremblée qui le sépare dans sa largeur en deux parts égales. Celle du bas est comme un ciel froid et celle du haut : la pâle lumière d’un soleil noir. En plein milieu, sur cette ligne d’horizon qui n’horizonte rien d’heureux, il y a un genre de globe rouge - une sorte de prunelle presque énucléée, couleur cœur transi, vraiment toute exorbitée.
Ainsi, ce que l’on prenait pour un paysage polaire : le ciel de glace où repose à peine un astre rougeâtre assombri d’un éclat qui le fait fondre - est-ce peut-être aussi le haut d’un visage de profil dont l’œil unique saturé d’un sang gelé est ébranlé de pulsions scopiques. Elle irradient l’atmosphère d’un halo endeuillé, mangeur de lueurs.
C’est au-dessus de cet œil excavé, aveuglé de regards que se lit blanc sur noir « Bestiole-moi Pupille » et, précisément au nadir de la sphère globuleuse, centré sous elle, noir sur bleu, on voit « Edith Azam ».
C’est ce dont il s’agit. Cette peinture d’Eléa Damette a « vu » Bestiole-moi Pupille, le grand poème à résonance biographique d’Edith Azam. C’est pourquoi il lui fait suite. C’est une introduction et déjà une lecture en écho à celle d’Agnès Houart, postfacière émérite.
Juste après l’œuvre d’E.D., sur le premier rabat de couverture, il y a, de la main d’E.A. :

Comment écrire une biographie ?
Je l’ignore.
Je veux dire, ma vie, je ne sais qu’en dire.
Une seule chose me claire, je me rassemble
dans l’écriture.
A la frontière de mon corps, il y a ce geste :
écrire, pour faire barrage aux violences du
monde, poser des mots sur
l’incompréhensible, inventer
une ligne d’horizon, de fuite, ou de partage.
Écrire : une ligne de vie. Voilà.

Puis viennent les 48 pages de poèmes aux vers courts, œillades fugaces, furtifs clins d’yeux, prompts à scruter aussi bien l’intérieur que l’extérieur. Soi et l’autre. Le cœur et l’environ. Des mots rapides gravés dans la feuille côté gauche et comme inscrits sur la rétine. Ils tiennent, sont creusés, ourlés, tournés dans le langage unique d’Edith Azam. Quelque chose s’invente pour décoffrer la destinée. Celle d’un corps altéré, étrangement socialisé et tout environné d’humanoïdes dissociés. Un être-corps, habité de souffles complexes et familiers, merveilleux, tristes, extraordinaires. Une sorte de cri à peine consonant et travaillé par l’inconscient fait naître un corps nouveau soignant l’ancien par invention d’une parole interdite que l’écrit exhume. Alors cicatrise l’iris d’un œil exténué par de toxiques apparitions, présences intrusives stagnant, allant, revenant. Bestiole-moi Pupille : une parole éteinte que les mots écrits rallument pour dire la trajectoire d’une appelée Pupille dont la peau à vif n’a que le langage comme carapace - une peau incisée par la vision ?
Pupille est un nom, le signe d’une personnification. Et « Pupille », c’est l’ouverture centrale de l’iris dont le diamètre est régi par deux muscles qui interviennent lors du mécanisme réflexe de l’accommodation à la lumière et à la distance. Ici Pupille est trop sollicitée, a du mal à accommoder lumière et distance. Mais « Pupille », c’est aussi un enfant en tutelle - comme le sous-tend dans le texte l’omniprésence surplombante et rongeuse des Fou, Deuxième Homme et Bestiole.
C’est la célérité langagière qui semble tenir l’être Pupille et le garder vif. C’est pourquoi ici les mots ne fanfaronnent pas, ils battent au cœur d’un discernement halluciné dont ils rendent compte, sauvent de la folie et de la mort.
Bestiole est un verbe et un nom dans le poème. Être « bestiolé », c’est une demande, un ordre au fronton du livre. Bestiole, c’est une petite bête qui insiste sans faire mine de s’imposer et c’est une personne de peu d’esprit. Il y va de la pulsion, ça pulse, cette Bestiole conjugable à l’envi.
Parfois, souvent (?) l’ouverture de l’iris qui rend voyant fait prénom dans le texte : Pupille - comme si cela voulait nommer avant le nom un moi contorsionné qui réclame un acte organique tour-menteur (?), aussi infime soit-il. Mais cet impératif est signe vital, de choix, de force du point de vue et du regard, ouverture irréductible malgré l’écrasement et la clôture qui menacent.

Bestiole-moi Pupille participe donc bien de la bio et de la graphie, car c’est à tout le moins une ligne de vie comme une flèche iridescente dans l’âpreté d’une main qui écrit.

A la fin, avant la quatrième de couverture et le second rabat qui porte les éléments rendant plausible l’existence d’Eléa Damette réapparue, il y a la liste des titres « du même auteur », classés du plus récent au plus ancien. Si on les coud entre eux, à rebours, ils prolongent d’un habit d’invisibilité, subrepticement textualisé, la somme inachevée des événements atypiques si drôlement relatés dans Bestiole-moi Pupille. Exercice tendant à prouver que les livres qu’on écrit sont d’évidence notre vie.
(Lesdits titres « du même auteur » sont ci-après, dans le texte qu’on propose, révélés en italiques) :

Bestiole-moi Pupille : Pour tenir debout on invente, en Retours de langue, on s’Oiseau-moi la Caméra car On sait : l’autre, ce Bel échec. Du savon dans la bouche, on se Décembre m’a ciguë et c’est Là chose commune. Vous, Mon frère d’encre, Vous l’appellerez : rivière, dans la Salle de spectacle du silo d’Arenc où Qui journal fait voyage, Mercure, Soleil-Œil crépu.
Avoir ça, oui, Du pop-corn dans la tête, ça Rupture Amor barricade amor !!! Alors pour tenir debout, on s’invente Un objet silencieux : Bestiole-moi Pupille - L’écharpe douce aux yeux de soie.