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France Burghelle Rey dans Poezibao



Georges Séféris (prix Nobel de littérature en 1963) n’a cessé de célébrer la beauté de son pays, sa lumière, sa langue. Mais il dit aussi la douleur, le déracinement, l’errance loin de la terre natale, ce déchirement de l’exil vécu dès son enfance et plus tard, en particulier lors de la Seconde Guerre mondiale. Ce recueil se veut un hommage à la Grèce et à sa culture, et c’est pourquoi il est illustré de 13 peintures d’un artiste athénien, Harris Xenos.

Le titre du recueil est emprunté à Archiloque (712-664 avant J.C.), poète grec de l'œuvre duquel il ne reste que des fragments.
Le texte liminaire formé de trois vers brefs à la manière d'un haïku, unit l'écriture au cosmos, confirmant ainsi la promesse du titre :

      Tu écris
l'encre s'épuise
la mer foisonne

La métaphore marine et, par là, celle du voyage ouvrent le récit de la quête d'un "nous" qui reste à définir : citoyens d'un pays en souffrance, poète sans doute.
Indépendants les uns des autres, les 20 textes présentés ici sont importants dans l'œuvre du poète (des notes explicatives à la fin du livre les situent à l'intérieur de celle-ci et en éclairent des mots et passages comme pour la polysémie de "l'ange") ; il s'agit de textes extraits de recueils composés entre 1933 et 1946 qui sont écrits aux différentes personnes de conjugaison. Ainsi, au "je" du second texte épuisé par un rêve s'oppose le tutoiement des deux textes suivants.

"Hydra", île qui a eu son rôle dans la création de l'Etat grec, fait ensuite contraste par une certaine exaltation et par l'allusion au Christ même si persistent le regret et les questions. Car "les morts anciens échappant au cercle, ont ressuscité / et sourient dans une étrange paix" et l'espoir du printemps est là.

Suivent deux poèmes, "Santorin" et "Mycènes", qui forment un ensemble intitulé G
ymnopédie. Le poète y fait le bilan d'une vie et de toute une époque au moment où se profile le spectre de la guerre et de la dictature :

Ecris si tu peux sur ton dernier tesson
le jour le nom le lieu ;
jette-le à la mer et laisse-le couler.

La géographie elle-même participe à l'effondrement des nations : "les îles sombrent, cendre et rouille". Quand la lune elle-même est "absente et que retentit "le cri des loups", meute qui menace la démocratie athénienne, il faut se détacher du "temps infidèle" et sombrer.

Puis est nommée "la sirène", femme-fantôme partie "l'été passé" dont le poète écrit l’"Epitaphe" avant que le lecteur ne puisse lire le texte suivant. "Récit". Récit de l'errance de l’homme "pleurant sans cesse" dans l'indifférence. C’est Elpénor,"le pauvre", personnage secondaire de l'Odyssée et récurrent dans l'œuvre de Séféris.

Dans le poème achevé en janvier 1940, "le roi d'Asiné", l'une des cités ayant fourni des navires pour la guerre de Troie, un vers est consacré à une découverte majeure de l'auteur de retour dans les eaux grecques : "la lumière frottant ses diamants sur les hautes murailles."
Le roi, l'oiseau, la jeune femme, tous "ont déserté nos vies si étrangement" avoue ensuite le narrateur blessé qui ajoute : "Et le poète un vide".

Avec "Jours de juin 41" le printemps se lève "dans le noir des cœurs" pour une Crète où le poète a suivi le gouvernement grec en déroute et qui, attaquée par l'Allemagne, tombe en mai 1941.

Mais "Parmi les os / une musique" dit l'avant-dernier poème. Musique des poètes quand le désespoir est prégnant. La chute, dans son exclamation, y est un appel :

Au secours !  Au secours !
Hautes montagnes, nous périssons, morts avec les morts !

Car, dans cette poésie de la perte, il n'y a plus de foyer alors que les maisons sont "des êtres à part" et que "les autres errent ou sont devenus fous dans les abris." A l'occasion de ce dernier texte, "La maison près de la mer", il est temps d'évoquer les caractéristiques de la forme chez Georges Séféris. Son art, en vers libres, classique par sa pureté et sa simplicité, est pourtant éloigné du classicisme car il renouvelle la technique poétique et participe pleinement, par sa liberté, à l'art contemporain. En témoigne ce dernier extrait :

Quand l'architecte s'en est allé elles changent,
se rident, sourient ou bien en veulent
à ceux qui sont restés à ceux qui sont partis
à d'autres qui reviendraient s'ils pouvaient
ou qui ont disparu, à présent que le monde
n'est plus qu'une immense auberge.

Nourrie de la tradition qu'il enrichit de son œuvre personnelle et de l'inspiration patriotique des poètes précédents, notamment de celle de Constantin Cavafy mort en 1933, la poésie de Georges Séféris, dans son sens profond - il faut en laisser la conclusion au dessinateur Harris Xenos dont le lecteur découvrira l'art et la symbolique - "est un archipel où confluent la mémoire, le mythe, le déracinement, l'amour qui résiste au temps, tout ce qui est commun aux Grecs de l'Antiquité et à ceux d'aujourd'hui. L'hellénisme !".

France Burghelle Rey