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Isabelle Lévesque pour la revue Europe


D'abord, l'or du titre, en forme de phrase : les flocons des fleurs seront semés au gré du corps. Serait-ce le début d’un blason, le portrait qu’un amoureux fou dresse de son aimée ou le récit rêvé d’une rencontre ? Le nom tu, masqué par le pronom, laisse au mystère sa force. C’est le début d’une histoire simple.

Neuf mots pour neuf chapitres qui tous commencent par cette même phrase, anaphorique, comme une tentative pour tout recommencer, à chaque fois.

Une rencontre, l’« amour fou » et puis « [l]’insensé du trépas » : « (Or / Un matin d’hier / À l’angle de deux rues // La mort) ». Lequel des deux est mort ? C'est elle que nous suivons dans ce poème/récit qui nous rappelle le Supervielle de L’enfant de la haute mer : on regarde passer « de gigantesques navires en partance ou provenance d’un Orient remonté des premières rêveries enfantines » et le temps ne s’écoule pas, il se répète, indéfiniment, interdisant l’espoir puisque tout recommence, sans aboutir.

La femme vêtue de fleurs, bouche cousue de mots, incarne le poème rêvé, haute voix, lyrisme nu. Le poème est vertical et centré, dressé comme un phare. Le poète, récemment disparu, aimait la mer. Il fonda une maison d’édition au milieu des terres qu’il nomma Le phare du cousseix.

Le vers est libre, de longueur inégale. Il peut parfois occuper une ligne entière et se trouver seul sur la page comme pour tracer l’horizon. Il peut aussi s’arrêter brutalement comme une rencontre nouée d’incertitude. Dans sa préface, Édith de la Héronnière, qui trace un portrait de Julien Bosc et décrit son parcours, souligne le caractère « émerveillé et hanté » de ses poèmes.

À la proue de ce texte, une aquarelle simple de Cécile A. Holdban, choisie par Julien Bosc, pour ouvrir sur un paysage inhabité, bleu et brun, d’un territoire libre à parcourir.

Dès le début du poème, des indices et des silences nourrissent l’inquiétude. Il se pourrait que ce rêve soit une parade. Il se pourrait qu’il éveille l’impossible et ne retienne que le vent. Nous sommes dans un état intermédiaire. Ainsi, pour dire la couleur, le poète nous place toujours « entre » deux teintes : « entre bleu et vert », « gris et noir », « orange et rose », « rouge et jaune ». Nous sommes aussi « entre partances dérives relâches ».Entre deux voix également : celle du narrateur en caractères romains alterne avec l’autre voix (celle de la femme aimée), en italiques. Des mots peuvent également être mis en relief grâce à l'italique. Ainsi, dès le début : « D’où venez-vous ? / D’un amour fou »

La recherche onirique révèle la faille : l’écriture vient suppléer le manque (originel chez Julien Bosc, d’autres textes l’explorent). La dissonance vivra de multiples cavités ouvertes dans le tissu narratif. Le récit, condamné à l’arrêt brutal, ne peut déployer sa force d’actualisation :

« Ainsi du semblant du récit ne resta-t-il plus qu’une ombre imparfaite et mouvante

Agitée par des courants violents et contraires »

Rien n’est sûr, comme le dit cette expression répétée : « semblant du récit ». La femme, à son réveil, verra un « semblant d’aurore ». Et nous rencontrerons encore un « Faux-semblant livré à la palilalie du dernier présent ».

Rien qui puisse accorder le temps du récit et celui du rêve. Les ruptures de rythme sont nombreuses. Le passé simple et le subjonctif imparfait peuvent apparaître comme la promesse condamnée d’un conte :

 

« Un long temps passa

Des siècles qui sait

Que ses yeux s’ouvrissent

Là où partout dans la nuit

Entre gris et noir »

 

De la princesse aux yeux fermés cent ans, il reste une ombre que le mimosa (soleil rêvé) pourrait éveiller. Il ne le peut pas. Le seuil ne peut être franchi, le réel l’encombre et fait céder la porte dorée du vers. Bascule terrible, l’allégorie nous presse de comprendre que le mimosa (avec la phrase répétée, la « palilalie ») et la mort sont de mèche comme se perpétue le son [m] de leur nom qu’on balbutie ou qui bégaye.

Il faudrait « Le phare dans la nuit pour s’y reconnaître ».

Mais sa lumière peut s’éteindre et la nuit devenir le jour de l’endormie que la mort seule guette : « Ah vent errant de la parole désœuvrée ».

Que peut-on opposer d’autre à la mort qu’un rêve d’amour illusoire et secret, le sein tendu vers une main qui n’existera plus ? Deux pages se suivent qui se terminent sur un « mais » : silence ensuite. Puis :

 

« De la sorte

Un brin de fleurs jaunes à hauteur du cœur

 

Et »

On pense au « dormeur du Val » qui se réveillerait, la fleur jaune à la place du cœur. Quel deuil porte-t-elle ?

« L’âpre goût d’inachevé de

 

Notre amour à nous deux mon amour

Amour inhumé à qui je parle

Parle et tant dans ma tête défaite de tant de remords et questions »

 

Alors ce livre, le monologue captif d’une voix qui disparaît, scelle un destin d’ombre.

Les vers figurent ce mouvement sur la mer, décor du rêve, qui bat sur la page et noie les naufragés dont on a tu le nom.

« Elle toucha terre

Amarra les aussières

Affala les voiles

Et

À l’ouest comme à l’est de l’échancrure du golfe

Découvrit les montagnes où

Dans un saule

Le sifflement d’un têtu rossignol »

 

Que préparer hors l’ultime ? D’ailleurs le « et », isolé en milieu de page, n’accroche rien qui ne soit mortel. Il annonce souvent qu’il y a autre chose à suivre. Parfois, dernier mot, il révèle la fin brutale inattendue. Mais c’est parfois aussi une ponctuation : point d’interrogation ou deux-points en quête de réponse ou d’explication.

Les éléments du paysage énumérés n’accrochent aucune réalité tangible, tout tend vers partir, sans complément, pour toujours. Le poème, un temps hors de l’eau, donne vie au rêve. Il s’éloigne aussi, ne saisissant pas les « mots du corps ». La prosopopée livrera-t-elle ces mots ignorés ou prisonniers ? La mort décrit ses retrouvailles avec l’aimé défunt en même temps qu’elle entre dans le poème par le titre :

« Et

Quand au sortir du rêve elle vit la mer de la jetée où elle s’était assoupie

Elle compta que des derniers mots qu’il lui avait cédés ne lui en restait plus même une dizaine

 

Pour tout dévoiler d’un titre de poème »

 

Poème à lui seul dont la quête ne peut aboutir que sur « le carrefour de deux voix » dont les corps se sont perdus à l’estime de vivre qu’on ne peut plus. Restent les mots.