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Claude Vercey pour Décharge

Se souvenir nous met au monde, écrit Cécile Guivarch dans le distique final de Cent ans au printemps, paru récemment dans la collection du Loup bleu (lequel nous regarde droit dans les yeux, en 4ème de couverture, dessiné par Sylvie Villaume ) des éditions Lieux-dits

 

L’affirmation exprimée dans ce vers résume bien sûr d’abord la démarche de la poète en cette suite de septains complétés comme en un repentir par un distique (forme tout à fait originale), écrite à la mémoire du grand-père tant aimé, mais aussi, de manière plus générale, rappelle le parti-pris de la quête menée dans ses livres précédents : Vous êtes mes aïeux et Un petit peu d’herbes et de bruits d’amour (cf : I.D n° 474), S’il existe des fleurs et Renée, en elle (cf. I.D n° 589), et que prolonge désormais, outre la plaquette citée dans le paragraphe ci-dessus, C’est tout pour aujourd’hui, proposé par La Tête à l’envers.


Ce livre se tourne en effet une nouvelle fois vers l’histoire familiale, reconstituée en l’occurrence à partir des cartes et lettres d’antan, conservées dans une vieille boite de chaussures, et que le père a confiées à l’auteure. J’avoue que cette appétence de Cécile Guivarch pour le passé me trouble, dirais-je qu’elle m’inquiète, en ce qu’elle sous-tend l’idée discutable que c’était mieux avant, comme le recèleraient les odeurs d’autrefois / les bonnes choses humées à travers les lettres / confitures, lards fumé, bouquet de fleurs, - toute chose qui reste à notre disposition aujourd’hui, si on veut bien y réfléchir.


Acceptons cependant de jouer le jeu proposé : il serait mal venu d’aborder C’est tout pour aujourd’hui comme un traité politique. Et tout en conservant par devers soi les réserves esquissées ci-dessus, laissons-nous entraîner par le charme de la régression, vers ces vies dont on n’imagine rien de vraiment triste, ces inflexions des voix chères qui se sont tues pour faire écho à Verlaine, dont on retrouve par ailleurs la musique et le balancement du vers autour d’un rythme peu ou prou alexandrin.


Les sources dans lesquelles puise Cécile Guivach, ces cartes et ces lettres pieusement conservées, avec leurs tournures maladroites et naïves, sont en elles-mêmes poétiques, comme Rimbaud nous a appris à les apprécier, à l’instar de la littérature démodée, les contes de fées et les petits livres de l’enfance. Dès lors il suffit parfois à l’auteure, pour écrire un poème, de se réapproprier un fragment de cette correspondance familiale – de même en est-il pour le titre du recueil - comme cette lettre du grand-père prisonnier et qui date de 1943 :


Je vois que pour tous la santé est bonne,
Pour moi aussi, ne vous tourmentez pas. Je ne souffre pas.
La vie reprendra bien un jour.
Ici ça va avec le cafard. Chez vous la vie est de plus en plus dure. 
Je pense que les bombes ne sont pas tombées dans votre coin.
Ici on ne sait pas quoi penser. Cela ne doit pas être gai en ce moment.
Cela finira bien. (…)


À côté de ces manières de ready-made, les poèmes sont réflexions autour de ces écrits qui ont du cœur, qui en restent à des choses très simples  : c’était surtout la santé, qui prenait presque toute la place , est-il noté, et Cécile Guivarch enchâsse volontiers dans sa propre écriture phrases et fragments qui donnent des nouvelles d’un temps de guerre, mais aussi d’un quotidien plus paisible, évoquant les travaux à la ferme ( Dis-leur que les petits porcelets sont tout à fait ronds et roses ...), les enfants ou les vacances au bord de la mer (Mes petits pieds s’enfoncent à peine dans les sable où les fillettes jouent tout le jour. / Vu une circonstance particulière, je ne pouvais pas me baigner ...). Sommes-nous si différents au fond, est-il conclu.


C’est en vérité la grande idée qui court à travers ce livre, celle d’une intangible ressemblance entre le passé, que la poète réinvente à partir de quelques traces écrites, et le présent, - ce malgré les modifications technologiques certes difficiles à nier, surtout pour qui travaille chez Orange où la révolution numérique prolonge l’histoire des Postes Télégramme et Téléphone, comme nous en informe l’auteure dans une note finale, - mais qui somme toute restent de peu d’importance, ne modifient que de manière superficielle la relation entre proches, les émotions échangées, les mini-intrigues qui les lient :


Le facteur n’est pas passé aujourd’hui
Hier il a déposé facture, électricité et impôts.
Demain peut-être quelques réclames.
Nous n’avons plus le pas pressé à sa rencontre.
Reconnaître l’écriture tant attendue.
Le timbre collé au bout de la langue,
Le facteur est passé sans apporter de lettre.

 

Je n’ai pas attendu, j’ai allumé mon ordinateur.


C’est une enveloppe tout en silence, commente l’auteure qui ne doute guère que les mots d’autrefois [soient] les mêmes que ceux d’aujourd’hui