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Editions de poésie

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La représentation ne commençait qu’à sept heures. Ils pouvaient encore marcher autour de la place, entendre encore une fois les trappes de l’horloge s’ouvrir en grinçant, apercevoir les apôtres défiler l’un après l’autre et la mort tirer sur la cloche, comme on tire un signal d’alarme dans un train de nuit.

Il faisait un peu moins froid. La neige allait retomber, se faire plus lourde aux griffes de la grande église, au-dessus des maisons bancales. Ils entrèrent dans le restaurant éclairé, juste dans leur dos. Entre la porte et les clients, une tenture de velours défraîchi formait une sorte de kiosque. Au-delà, c’était la chaleur, une odeur âcre, bière et tabac mêlés. Les nappes surprenaient, d’une blancheur irréprochable. Ils montrèrent au garçon une tasse de café posée devant un homme seul. Après quelques minutes qui leur parurent très longues, on leur apporta, avec des gestes cérémonieux, deux grands verres d’acier : la poudre de café s’y mélangeait à l’eau fumante. Ils y réchauffèrent leurs mains, en silence

- Tu viens nous retrouver ce soir ?

 

Pour la première fois depuis qu’ils savent, ils ont osé cette demande. La Marquise, elle, sortit à cinq heures. Moi, rien ne me presse ni ce soir ni demain. Attendre seulement que cela finisse comme prévu. Deux mois. Trois, peut-être.

Retourner parmi eux, à quoi bon ? Le Carnaval est terminé. Je n’en ai jamais aimé ni les masques ni les rires. Je supportais mal qu’ils fussent tous semblables. Aujourd’hui moins que jamais grégaire. Moins que jamais justifié par la souffrance des autres et par la commune exclusion. Tant pis pour le patchwork ! Mourir du même mal que lui ne me rendra jamais fraternel le premier giton venu.

L’ange devenu vacant sonne une heure sur le petit globe qui brille à mon chevet. Ils sont là-bas, de l’autre côté des arcades ; au-delà du jardin plein de gros moineaux qui sautillent sous les tilleuls. Jamais je n’ai traversé ce jardin sans penser que là, dans ce pré-aux-oiseaux, j’aurais pu trouver la paix.

I Allegro

Est-ce la fin, la surdité pour toujours ou n’êtes-vous partie que pour m’éprouver ?

Pourquoi si vite ? Si brusquement ? Vous auriez pu me ménager, me préparer - par exemple, chanter un peu moins bien, un peu moins longtemps chaque soir. J’aurais compris que quelque chose allait arriver. J’aurais appris à ne pas tout attendre de vous. J’aurais essayé, au moins, de vous écouter de plus loin, un peu distraite, un peu économe, un peu méfiante.

 

Ce soir, où êtes-vous, ma voix ? Etes-vous comme je le voudrais (cela seulement me consolerait ) repartie pour toujours dans la nuit. Vous n’êtes pas, vous ne pouvez pas être réfugiée dans un autre cœur. Vous n’inventez pas pour lui, comme vous l’avez fait pour moi, des couleurs si belles, si douces qu’une autre douleur lâche prise, qu’une autre solitude à son tour s’accepte. Vous êtes bien trop vraie pour avoir élu domicile chez un mort-vivant. Pour jouer les ornements de salon, comme une vulgaire cabalette. Vous n’êtes pas, vous ne pouvez être, vous aussi, enfermée, là-bas, dans le mouroir de velours, au milieu des rictus et des ressassements.